Le cas des marchés fractionnés du carbone
Préambule
Cette section a été rajoutée au site internet de façon à répondre à certaines recommandations du comité scientifique ayant examiné le rapport intermédiaire soumis en mars 2010. Cependant, les commentaires et recommandations du comité ne nous ont été fournis qu'en avril 2011, nous laissant peu de temps pour y répondre. Nous avons donc procédé à de nouvelles simulations, en partie pour ce rapport et en partie dans le cadre de travaux en cours au sein du Energy Modeling Forum (EMF-24) dont nous sommes membres, et qui se poursuivront en 2011 et 2012. Nous remercions les membres du comité scientifique pour des recommandations pertinentes et qui enrichissent les conclusions tirées de ce projet GICC.
Scénarios climatiques à participation fragmentée
Dans ce chapitre, nous examinons donc des situations où la poursuite des objectifs climatiques est fragmentée à divers degrés, soit que la fragmentation soit plus prononcée, soit qu'elle se poursuive plus longtemps dans le temps, parfois jusqu'à la fin du XXIe siècle. Nous comparons ces scénarios à des situations de coopération parfaite et aussi à un scénario de référence sans cible climatique. En tout, nous obtenons cinq scénarios climatiques. De plus, nous combinons ces cinq scénarios climatiques à 8 hypothèses technologiques contrastées, pour former quarante combinaisons.
Les 5 scénarios climatiques
Nous simulons et analysons deux scénarios à participation fragmentée, le premier (G8) étant une approximation et un prolongement des accords du groupe G8 de 2008-2009, l'autre plus pessimiste (PESS) simulant une situation plus fragmentée se prolongeant jusqu'en 2100.
Il apparait utile de comparer ces deux scénarios à deux scénarios idéalisés supposant une coopération parfaite et immédiate de tous les pays pour atteindre les cibles respectives de 450 et 550 ppmv de concentration en CO2-équivalents.
Nous simulons aussi un scénario de référence (REF) sans aucune cible ni politique climatique au-delà de l'accord de Kyoto se terminant en 2012.
La fragmentation des politiques entre trois grands groupes de pays résulte de leurs différents degrés de développement (G1 étant le groupe des pays industrialisés), ainsi que de leur propension à adopter ou non une attitude positive vis-à-vis des politiques climatiques (G3 étant le groupe de pays exportateurs d'énergie fossile). Le tableau suivant décrit ces 5 scénarios en détail.
La définition précise des trois groupes apparait dans le tableau suivant.
Les 8 scénarios technologiques
Comme nous l’avons énoncé, nous avons combiné ces cinq scénarios climatiques à diverses hypothèses concernant la disponibilité de trois principaux groupes technologiques jouant un rôle majeur pour la réduction des émissions de GES, soit :
- la capture et séquestration du CO2 (CCS) et le nucléaire,
- les énergies renouvelables autres que l’hydroélectricité (RNW), et
- les économies d’énergie finale (traduites par l’intensité énergétique finale (INT)).
Pour chacun de ces trois groupes technologiques, nous distinguons deux niveaux, l’un favorable, l’autre défavorable. Le tableau suivant résume nos hypothèses technologiques.
1 Les potentiels des autres sources de biomasse sont identiques à ceux de l’hypothèse ADV RNW (ex.: forêts)
La combinaison des hypothèses sur les 3 groupes technologiques donne donc naissance à 8 scénarios technologiques.
Les quarante combinaisons simulées
Le tableau suivant présente de façon synthétique les quarante scénarios simulés à l’aide de TIAM-WORLD.
Résultats et commentaires
Ces travaux sont récents et encore incomplètement exploités. Étant donné les impératifs de date de terminaison du projet, nous ne présenterons que les résultats principaux sans approfondir les détails énergétiques de chaque scenario. Nous nous attacherons donc uniquement à l’examen des résultats globaux.
Ces résultats sont toutefois très éclairants et permettent de dégager quelques fortes conclusions.
Résultats climatiques : l'élévation de la température globale moyenne
Pour les scénarios 450 et 550, le résultat climatique est dicté d’avance (en termes de concentrations et de forçage radiatif), puisque la cible de concentration est imposée. Ce n’est pas le cas des autres scénarios climatiques. Il est donc nécessaire d’examiner les concentrations et forçages radiatifs atteints par les scénarios REF, G8 et PESS, puis de les convertir en élévations de la température globale moyenne, au moyen des équations du module climatique de TIAM-WORLD.
La figure suivante indique le maximum de l’élévation de température moyenne, qui correspond d’ailleurs à l’élévation de la température en 2100.
Commentaires :
Nous ne montrons que l’accroissement de température globale correspondant à 10 des 40 scénarios --les scénarios 1 à 5 et 11 à 15. En effet, la seule hypothèse technologique ayant un effet décelable sur les variables climatiques (concentrations, forçage radiatif, élévation de la température globale) est celle de l’intensité énergétique, les autres hypothèses technologiques ayant une influence quasi nulle sur le climat.
La figure E montre que les scénarios G8 et PESS sont respectivement proches des scénarios 450 ppm et 550 ppm, du moins en ce qui concerne le climat durant le 21e siècle. Cette observation est très utile car elle nous permet de comparer les paires de scénarios G8 - 450 ppm et PESS - 550 ppm, sachant que les scénarios de chaque paire ont à peu près le même impact climatique.
Une observation intéressante est que l’accroissement de la température globale moyenne ne dépasse pas 2,25oC sous les 2 scénarios 550 ppm et PESS, et reste en dessous de 1,7 sous les deux autres scénarios.
Notons aussi que le scénario de référence entraîne un accroissement de température double de celui de la paire 450 ppm - G8.
Les coûts comparés
Le coût global d’un scénario donné est une indication très utile de la difficulté d’atteindre la cible de ce scénario sous les hypothèses technologiques particulières du scénario en question. C’est donc un des premiers résultats à examiner. Rappelons que ce coût est, plus précisément, dans le cas de TIAM-WORLD, la perte de surplus total.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, le fait que les scénarios G8 et PESS sont respectivement proches des scénarios 450 ppm et 550 ppm (en ce qui concerne le climat durant le 21e siècle) rend pertinente la comparaison des coûts respectifs de chaque scénario d’une paire donnée.
Le coût des politiques climatiques
Tout d’abord, le tableau F montre le coût global actualisé (au taux de 5% /an) de chaque scénario par rapport à la situation correspondante de référence. Ce coût est donc le coût net de la politique climatique elle-même, dans chaque situation technologique. Il est donné en Milliards de dollars 2005. Ce tableau nous permet d’évaluer le coût de chaque cible climatique, pour chaque situation énergétique donnée.
Commentaires :
Comme nous pouvions aisément le deviner, le scénario fragmenté G8 est plus coûteux que le scénario « optimal » 450 ppm. Ceci n’est pas une surprise, puisque les deux scénarios atteignent à peu près la même cible climatique, mais que G8 consiste en des politiques assez fortement fragmentées et donc moins efficaces que la coopération parfaite de 450 ppm. Cependant, et c’est là une conclusion intéressante, le coût supplémentaire de G8 reste relativement modéré, ne dépassant pas celui de 450 ppm de plus de 35% (maximum atteint dans la dernière colonne du tableau).
Par contre, le coût de PESS est beaucoup plus élevé que celui de 550 ppm, bien que ces deux scénarios aient à peu près les mêmes conséquences climatiques. Le ratio des coûts est dans une fourchette de 2,6 à 4,8, ce qui traduit la plus forte segmentation de PESS, et donc son inefficacité à atteindre une cible climatique somme toute modérée. Le scénario PESS a donc bien mérité son qualificatif de « pessimiste ».
Le coût des hypothèses technologiques
Nous présentons maintenant un autre aspect des coûts globaux actualisés, soit, pour chaque scénario climatique, la différence des coûts entre un scénario technologique et sa contrepartie (par exemple : CCS OFF par rapport à CCS ON), toutes choses égales par ailleurs. Le tableau G montre ces comparaisons, exprimées en pourcentage de coût supplémentaire.
Commentaires :
- Le CCS et le nucléaire jouent ensemble un rôle assez important dans tous les cas de politique climatique. En leur absence, l’augmentation du coût global reste dans une fourchette assez serrée d’environ 24% à 28% dans le scénario 450ppm, et d’environ 31% à 36% dans G8, quelles que soient les autres hypothèses technologiques, alors que cette augmentation est beaucoup plus variable dans les scénarios 550ppm (fourchette de 18% à 38%) et PESS (fourchette de 20% à 34%), selon les autres hypothèses technologiques. On peut conclure de ces résultats que ce groupe technologique a une influence presque indépendante des autres groupes technologiques dans le cas d’une cible plus contraignante (scénarios 450ppm et G8), mais que ce n’est pas le cas pour une cible moins contraignante (scénarios 550ppm et PESS.) Ceci s’explique par le fait que dans ces situations le recours au CCS ne devient crucial que lorsque d’autres technologies de réduction sont indisponibles. Par contre, lorsque la cible est sévère, le recours au CCS est important quelles que soient les autres technologies disponibles.
- L’intensité énergétique a naturellement un fort impact sur le coût global, puisqu’elle agit directement sur la demande d’énergie finale. Le coût global augmente d’environ 50% si l’intensité énergétique est plus grande dans le cas de la cible contraignante (scénarios 450 ppm et G8). L’augmentation de coût est beaucoup plus forte dans le cas d’une cible moins contraignante (scénarios 550ppm et PESS), ce qui s’explique par le fait que dans ce dernier cas, la diminution de l’intensité énergétique est à elle seule presque capable d’atteindre la cible climatique. Notons quand même que cette importance accrue de l’intensité énergétique est plus évidente dans le cas de 550 ppm que dans PESS.
- Les énergies renouvelables jouent un rôle sensiblement égal à celui du CCS+nucléaire, entraînant pratiquement les mêmes conclusions que celles énoncées plus haut.
Vers des stratégies climatiques : les rôles respectifs des principaux groupes technologiques
Nous examinons maintenant la « stratégie » utilisée pour atteindre les cibles climatiques. Cette stratégie est assez complexe, faisant intervenir principalement les trois éléments suivants, de façon synergétique :
- Le recours à la biomasse et aux autres renouvelables, dans les secteurs de l’électricité et de la production de carburants.
- Le degré d’électrification de l’économie.
- L’utilisation du CCS dans les secteurs de l’électricité et de la production de carburants.
Une première constatation est le recours massif à la biomasse. La figure MM indique que la biomasse est utilisée à son potentiel maximum dans presque tous les scénarios climatiques (l’exception étant le scénario 550 ppm, mais même ici l’utilisation de la biomasse est majeure). De plus, comme l’indique la figure OO, la biomasse est principalement utilisée pour la production de carburants plutôt que pour produire de l’électricité. La biomasse est donc un choix prioritaire dans la stratégie de réduction des émissions de CO2. Ceci n’est pas une surprise puisque l’utilisation de la biomasse accompagnée de CCS résulte en des émissions nettes de CO2 négatives.
L’électrification de l’économie est un deuxième élément dans la stratégie de réduction des émissions de CO2, élément d’autant plus important que la cible climatique est plus sévère, comme le montre la figure NN. La même figure montre que le recours à l’électricité est plus important lorsque la disponibilité de la biomasse est plus restreinte (c'est-à-dire tous les scénarios avec REF RNW). Pourquoi? Parce que dans cette situation, les réductions d’émissions dans le secteur des carburants renouvelables ont un plus petit potentiel, et donc le recours à l’électricité (solaire et éolienne) s’impose.
Finalement, le CCS est aussi une option significative, mais de façon plus modérée que les renouvelables. La figure PP indique que la séquestration du CO2 ne représente jamais plus de 20% des réductions totales de CO2. Une autre observation (non explicitée dans ces résultats) est que cette option intervient de façon prépondérante dans la production des carburants (par opposition à la production d’électricité), ce qui coïncide avec l’utilisation préférentielle de la biomasse discutée plus haut .
Conclusion
- L’atteinte des cibles climatiques fait principalement appel à une combinaison variable de trois entités: la biomasse, les autres renouvelables, et le CCS, et ce dans deux secteurs : la production d’électricité et la production des carburants.
- L’électrification des secteurs consommateurs d’énergie est une autre dimension de la stratégie climatique. Cette option est d’autant plus importante lorsque la cible climatique est sévère et lorsque le potentiel de biomasse est réduit.
- Parmi les 3 groupes technologiques, la biomasse est le choix prioritaire. La biomasse est utilisée à son potentiel maximum dans les scénarios sévères, et majoritairement pour produire les carburants des secteurs industrie et transports. La biomasse est le plus souvent utilisée en combinaison avec le CCS.
- L’électricité d’origine renouvelable (solaire et éolienne) est adoptée massivement en complément de l’utilisation de la biomasse. Lorsque la biomasse est limitée, les autres renouvelables pénèytrent plus fortement le secteur électrique ainsi que les usages finals (chauffage solaire passif des locaux).
- Le scénario G8 est intéressant: il permet d’atteindre à peu près la même cible climatique que le scénario idéalisé 450ppm, et son coût excède celui de ce dernier de façon assez modérée. Les caractéristiques du scénario G8 semblent assez réalistes pour donner lieu à un accord international.
- Le scénario PESS est lui aussi susceptible d’un accord, mais il se révèle décevant sur le plan du coût global, étant beaucoup plus onéreux que le scénario idéalisé 550 ppm pour une cible climatique à peu près équivalente.