Prise en compte de l'incertitude avec le modèle TIAM

Sécurité énergétique : une approche par programmation robuste pour représenter la vulnérabilité des approvisionnements énergétiques de l'Europe à travers TIAM

Les réseaux d'approvisionnement énergétique d'une région donnée sont soumis à des événements aléatoires, entraînant la fermeture partielle ou totale d'une route (corridor). Par exemple, un oléoduc peut être soumis à des problèmes techniques qui réduisent sa capacité d'approvisionnement, ou bien encore l'acheminement des navires pétroliers peut être rendu difficile pour des raisons politiques ou matérielles, etc.


Dans le projet SynsCOP15, nous nous intéressons à ce type d'incertitude sur les approvisionnements dans une vision de long terme. La formulation se fait grâce à une version du modèle intégré TIAM modifiée pour mettre en œuvre la technique d'optimisation robuste (Ben-Tal et al., 2009). Dans notre cas, l'approche peut être considérée comme une nouvelle interprétation de la programmation par contrainte en probabilités (Charnes et al, 1958.) sous le nom de programmation par contrainte en probabilités avec distribution robuste ou ambigue (Calafiore et El-Gahoui, 2006 ; Iyengar et Erdogan, 2006). Nous appliquons cette démarche pour améliorer la sécurité d'approvisionnement du système énergétique européen.

1. Problèmes de sécurité énergétique en Europe

La sécurité énergétique est désormais considérée comme une priorité dans toute politique énergétique. Aux États-Unis, le Energy independence and security act de 2007 et la proposition de loi Clean Energy and Security Act de 2009 considèrent la sécurité énergétique comme l'un des piliers de la politique énergétique des États-Unis. En Europe, le Livre vert sur la sécurité énergétique (CE, 2000), le Livre vert sur la stratégie européenne pour une énergie durable, compétitive et sûre (CE, 2006), plusieurs directives (comme par exemple la directive de 2006 sur les stocks pétroliers que chaque État membre est obligé de maintenir ou encore les directives de 2004 et 2005 sur les mesures visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel et en électricité), les propositions actuelles de la nouvelle réglementation sur les projets d'investissement dans les infrastructures énergétiques (2009) et sur la sécurité d'approvisionnement en gaz (2009) ainsi que la politique énergétique du 3 fois 20 (CE, 2007) visent tous à renforcer la sécurité de l'approvisionnement énergétique de l'Union Européenne. Plusieurs raisons expliquent l'importance accordée à la sécurité énergétique :

 

  • L'augmentation rapide de la demande mondiale d'énergie, principalement tirée par les pays émergents comme la Chine et l'Inde (AIE, 2007) peut avoir des conséquences importantes sur le prix et la disponibilité des ressources énergétiques au niveau mondial. Les débats actuels sur la possible imminence du pic pétrolier viennent s'ajouter à ces craintes.
  • La dépendance de l'UE à ses importations devrait croître (dans un contexte de scénario référence, type business as usual) et les importations d'énergie pourraient atteindre jusqu'à 65% de la consommation de l'UE en 2030 (CE, 2007). En outre, cette dépendance envers les importations, de l'Europe comme de nombreux autres pays importateurs, tend à concerner un nombre de plus en plus restreint de pays fournisseurs (AIE, 2007).
  • La crise du gaz russo-ukrainienne de Janvier 2009, entraînant une interruption des livraisons de gaz vers l'UE via l'Ukraine, illustre que les risques de transit ont augmenté.
  • L'incertitude sur la stabilité géopolitique ou sur la stratégie d'approvisionnement de certaines régions du monde, comme le Moyen-Orient, le Nigeria ou le Venezuela, est bien sûr préoccupante.
  • Les menaces pesant sur la sécurité énergétique résultent de défaillances du système, que ce soit de la part du fournisseur ou de l'importateur. Ces défaillances ont diverses origienes, comme des événements naturels, le terrorisme, un problème de qualité, de conditions d'utilisation des installations (pannes de fonctionnement, limitations des capacités de production en raison de sous-investissement) (Grubb et al., 2006). On peut citer comme exemple le blackout de 2003 en Italie et la panne d'électricité qui a touché plusieurs pays européens en 2006.
  • Les risques environnementaux doivent être considérés comme ceux impactant directement le système énergétique, ou bien impactant les demandes et/ou capacités de production.

Sur la base de cette description, les risques liés à l'approvisionnement en énergie peuvent être soit géologiques (épuisement possible des ressources), soit économiques (les fluctuations dans le prix), soit techniques (pannes du système - pour des raisons différentes), soit environnementaux (accidents ou politiques), soit enfin géopolitiques ( Behrens et al., 2009). En outre, la gestion des risques est différente s'ils sont externes ou internes à l'Europe. Les risques internes de l'UE signifient généralement faire face aux événements de faible probabilité, comme réaliser des investissements appropriés dans l'approvisionnement, le stockage, la transmission et la distribution de l'énergie (Behrens et al., 2009). Enfin, l'échelle de temps des différents risques varient du court terme (pénurie de l'offre en raison de défaillances techniques, par exemple) au long terme (épuisement des ressources, la tarification, etc). Les mesures de gestion du risque seront différentes selon l'échelle de temps et la nature des risques (AIE, 2007).

Les mesures ou stratégies proposées pour accroître la sécurité énergétique peuvent être classées en quatre catégories (Behrens et al, 2009; CE, 2007; AIE, 2007; Frogatt et Levi, 2009.)

 

  • Diversification des sources d'énergie, les zones géographiques d'importation, des voies de transport et des fournisseurs. La diversification peut en effet être considérée comme "une assurance générale contre la dépendance lourde et contre des perturbations massives".
  • Définition d'un accord commercial entre fournisseurs et consommateurs, par exemple entre l'Union européenne, la Russie et l'Ukraine, pour assurer l'approvisionnement de l'UE en gaz russe transitant par l'Ukraine.
  • Des investissements appropriés dans l'approvisionnement, le stockage, le transport et les technologies de distribution pour garantir la qualité du système énergétique, dans l'accroîssement des capacités disponibles du système de production et du réseau d'importation, et dans la promotin d'une gestion efficace des perturbations du système énergétique.
  • Diminution de la demande totale d'énergie (augmentation de l'efficacité du système énergétique) et la priorité aux sources d'énergie considérées comme moins risquées.

L'impact des politiques climatiques sur la sécurité énergétique est considéré comme positif en ce qui concerne la dimension de la dépendance envers les importations au regarde de la diminution de la consommation de combustibles fossiles et de la croissance de sources d'énergie renouvelable domestique. Toutefois, l'augmentation de la production d'énergie nucléaire pose des problèmes de dépendance à l'importation et la disponibilité de la ressource, tandis que la croissance des énergies renouvelables pourrait affecter négativement la fiabilité du système énergétique en raison de leur forte dépendance aux conditions météorologiques et de l'intermittence de la production (Grubb et al., 2006 ). En effet, il s'agit de trouver une politique énergétique qui soit un compromis entre sécurité énergétique, prise en compte du changement climatique, résilience du système énergétique face aux impacts. Et parfois ces objectifs sont difficiles à faire cohabiter (Brown et Huntington, 2008; AIE, 2007).

2. Prise en compte de l'incertitude grâce à la programmation robuste

Pour modéliser la sécurité énergétique mondiale, nous avons introduit dans TIAM une nouvelle contrainte qui porte sur la fourniture totale d'énergie de l'UE et les candidats évidents pour les paramètres aléatoires de l'approvisionnement énergétique sont le facteur de disponibilité de la technologie représentant un canal d'importation, ou corridor. L'exigence selon laquelle la nouvelle contrainte doit être satisfaite pour toutes les réalisations possibles de sa composante aléatoire implique que la partie certaine devrait être choisi de manière à correspondre au pire des cas. Cela correspond à la défaillance simultanée de tous les corridors. Cette exigence drastique exclurait la plupart des solutions, sauf les plus conservatrices, et ne serait pas jugée raisonnable par les planificateurs. Au contraire, on voudrait voir la contrainte incertaine respectée la plupart du temps, au risque de l'avoir violé à de rares occasions. La grande question est de savoir comment traduire cette exigence qualitative en une contrainte quantitative.

La formulation naturelle de cette exigence est de fixer une limite inférieure sur la probabilité que la contrainte soit satisfaite. Cette idée a été proposée dès 1958 par Charnes et co-auteurs (Charnes et al., 1958), et plus en détail dans (Miller et Wagner, 1965) et (Prékopa, 1970), sous le nom de programmation par contrainte en probabilité (acronyme anglais : CCP). Malheureusement, cette approche s'est avérée incapable de trouver une solution numérique dans un temps raisonnable, sauf dans de rares cas (Ben-Tal et al., 2009). Cette formulation n'est pas directement applicable dans un programme d'optimisation tel que TIAM.

L'optimisation robuste (acronyme anglais RO) est une proposition alternative qui vise essentiellement à surmonter les problèmes numériques posés par le calcul des probabilités. L'idée, semblable à celle de la programmation par contrainte en probabilité, est de s'assurer que la contrainte soit satisfaite pour un ensemble de réalisations, c'est à dire un "ensemble pertinent des éléments aléatoires, au risque d'échec possible dans certains cas exceptionnels". Mais, contrairement à la CCP, RO définit l'ensemble des réalisations pertinentes de manière explicite, par exemple, comme un polyèdre, plutôt que de manière implicite par le biais d'une condition sur une probabilité. Le paradigme de l'optimisation linéaire robuste remonte à (Soyster, 1973), mais le domaine est resté pratiquement inactif jusqu'à ce que l'idée soit reprise vers 1997, de façon indépendante et pratiquement simultanément, dans les cadres des deux problèmes de programmation en nombres entiers (Kouvelis et G Yu, 1997) et de programmation convexe (Ben-Tal et Nemirovski, 1998) et (El-Ghaoui et Lebret, 1997). L'avantage de la RO est qu'elle reformule la contrainte incertaine en un ensemble de contraintes déterministes, nommé "l'équivalent robuste" qui peut être efficacement traité par des techniques d'optimisation convexe.

Les développements  les plus récents sur la RO, telles que présentées dans (Ben-Tal et Nemirovski, 2009) concilie la RO et la CCP dans le cadre du concept de programmation par contrainte en probabilité avec distribution robuste (Calafiore et El-Gahoui, 2006) ou ambigue (Iyengar et Erdogan, 2006 ). Ces techniques partagent l'objectif commun d'amener à des formulations facilement traitables. Elles étendent la forumation de la PCC comme suit : la probabilité de satisfaction d'une contrainte ne se mesure pas par rapport à une distribution de probabilité pour chaque paramètre incertain, mais par rapport à une classe de distribution de probabilité qui est décrit par quelques paramètres (par exemple, des variables aléatoires indépendantes avec un support commun et des espérances connues). Cette idée de classe concilie les notions d'ensemble d'incertitude de la RO et de support probabiliste de la CCP. Nous présentons ci-dessous brièvement la RO du point de vue de l'ACCP et nous montrons comment il peut être mis en œuvre dans le problème qui nous intéresse.

Télécharger un rapport technique (en anglais)

Références

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S. Brown and H. G. Huntington. Energy security and climate change protection: Complementarity or tradeoff. Energy Policy, 36(9):3510-3513, 2008.

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EC. An energy policy for Europe. Green Paper COM(2007) 1 final, European Commission, Brussels, Belgium, 27 p, 2007.

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M. Grubb, L. Butler, and P. Twomey. Diversity and security in uk electricity generation: The influence of low-carbon objectives. Energy Policy, 34(18):4050-4062, 2006.

IEA. Energy Security and Climate Policy - Assessing Interactions. International Energy Agency, Paris, France, 150 p., 2007.

G. Iyengar and E Erdogan. Ambiguous chance constrained problems and robust optimization. Math. Progr. Series B, 107(1-2):37-61, 2006.

P. Kouvelis and G. Yu. Robust Discrete Ooptimization and its Applications. Kuwer Academic Publishers, London, 1997.

L.B. Miller and H. Wagner. Chance-constrained programming with joint constraints. Operations Research, 13, 1965.

A. Prékopa. On probabilistic constrained programming. In Proceedings of the Princeton Symposium on Mathematical Programming, pages 113-138. Princeton University Press, Princeton, 1970.

A. L. Soyster. Convex programming with set-inclusive constraints and applications to inexact linear programming. Operations Research, 21:1154-1157, 1973.

EU-FP7 PLANETS Project

PLANETS is a project that existed from 2007 to 2010. It was dealing with

 

Probabilistic Long Term Assessment of New Energy Technology scenarios

 

Its web page is http://www.feem-project.net/planets/

 

EU-FP7 PLANETS Project